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La cour d’assises de Paris jugeait depuis mercredi Soraya Maurice, une femme transgenre en grande souffrance.

 
Par Isabelle Horlans
Actu juridique
Le 10 octobre 2025
Photo: ©AdobeStock/Aleksei Zakharov

 

En 2022, à Pigalle, elle avait tué Angie Kompressor, née Xavier Kelenda avant de changer de sexe. Une personne « belle, drôle, qui transformait en or tout ce qu’elle touchait », a décrit l’avocate des parties civiles. Une peine de 20 ans de réclusion a été requise. Le verdict est attendu ce soir.

Me Laure Berrebi-Amsellem, qui représente les parents, les beaux-parents et la nombreuse fratrie d’Angie Kompressor, a invité le fantôme du grand frère, devenu cette grande sœur que tout le monde adorait. À la faveur des mots tendres, émouvants, la victime est entrée dans la salle Victor-Hugo, au Palais de justice de l’Île de la Cité (IVe arrondissement). À pas feutrés, discrète, de la manière « si classe », selon ses proches, avec laquelle Angie évoluait. Le 11 août 2022, cette femme transsexuelle âgée de 39 ans a chuté à terre, sur le trottoir du boulevard de Clichy (XVIIIe), frappée d’un coup de couteau par Soraya Maurice, une Martiniquaise prénommée William à sa naissance.

L’accusée a désormais 28 ans et, derrière elle, une existence misérable ; son avenir ne s’annonce pas plus lumineux. Du box, elle jette un regard vide, triste, sur l’assistance. Silhouette fine, blouson gris sur sweat bleu ciel où on lit « Colorado », longs cheveux dénoués dans le dos, elle présente un visage doux ; on la croirait tout juste sortie de l’adolescence. Pourtant, elle a subi autant de tourments qu’une vieille dame.

À 13h30, ce vendredi 10 octobre, après deux journées et demie d’audience, Soraya a la parole en dernier : « Je m’excuse auprès de la famille malgré ce qu’il se passe. »
 

Angie « la mondaine » était « une grande amoureuse »

 

L’accusée s’est exprimée au présent. Ce « qu’il se passe », c’est maintenant : des regrets mal formulés, une difficile demande de pardon tant elle paraît se dissocier du passé, de l’été 2022 que sa mémoire a mis sous cloche. Non qu’elle ait oublié, non qu’elle nie avoir tué Angie : « C’est moi », dit Soraya. Simplement, une forme de déni l’aide à se maintenir debout. Le procès n’a pas permis de savoir pourquoi, ce soir-là, elle a « planté » l’abdomen et le sternum d’Angie, perforant sur 12 centimètres les organes vitaux. À 5h06, la victime s’est éteinte. « Pourquoi l’avoir tuée ? interroge encore Me Laure Berrebi-Amsellem. Pourquoi tuer une sœur, qui a été la première femme noire transsexuelle, qui avait réussi l’impossible : s’assumer, accomplir de grandes choses ? » Cette « mondaine » aux sacs Gucci, « généreuse, drôle, belle, était sensible, c’était une grande amoureuse », poursuit l’avocate des parties civiles. « Lorsque son amie Rose est décédée d’un cancer, elle s’est occupée de ses enfants durant un an. » Y compris financièrement.

Lors d’une pause, la femme de son père nous confie les derniers souhaits d’Angie : « Elle m’a dit “mamie, j’arrête cette mascarade, je vais acheter un logement et adopter des enfants”. » La « mascarade », c’étaient « quelques passes de temps en temps, car il fallait bien vivre pendant la pandémie de Covid. Mais il avait un diplôme de coiffeur et maquilleur », précise Mamie qui hésite toujours entre masculin et féminin.
 

« La transition, les hormones, les opérations et les soins… »

 

« Elle avait beaucoup de classe, reprend Me Berrebi-Amsellem, elle aimait la nuit, elle connaissait tout le monde, transformait tout ce qu’elle touchait en or. » La femme séduisante, plantureuse, ne fut pas toujours aussi « bien dans sa peau. Sa quête identitaire a été difficile, je ne trouve pas joli le mot transsexuel car ces êtres fragiles, vulnérables, doivent d’abord lutter contre ce qu’ils ressentent ». Puis, « il a fallu changer de prénom, de sexe, de vie (…) Angie est née dans une famille traditionnelle, elle a dû accepter d’être considérée “contre-nature” », comme on dit. « La transition, les hormones, les opérations, les soins, c’est très douloureux, ça coûte terriblement cher : 5 000 à 10 000 euros pour les seins ! Alors vous imaginez le reste ? »

Mais Angie a été acceptée par les siens. Aimée. Alors, qu’on l’ait ravie à sa famille est insupportable. L’une de ses sœurs pleure à chaudes larmes.

« Pourquoi ? », tente une ultime fois l’avocate. Soraya l’ignore. Querelle de territoire ? Pas du tout. Jalousie ? De quoi, puisqu’elles ne se connaissaient pas, ont confirmé les débats. Une expression captée au vol, « sale travelo », mais lancée par qui ? Nul ne le sait. En revanche, les témoins ont entendu à trois reprises : « Je viens de la crever, cette pute. » Pour la partie civile, c’est un meurtre, pas des violences mortelles sans intention de tuer : « Il y avait de la haine, dans cette phrase » et Soraya part « quand les organes d’Angie sortent. Ils sortaient ! Elle fuit, car elle se sait sous sursis probatoire ».

 

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